Dans la souffrance dans la merde et dans le sang
Bonjour, je suis un galgo, une galga, une petite misère en somme.
De celles que l'on oublie et que l'on jette.
De celles que l'on tue, que l'on mutile, que l'on torture impunément.
De celles qui vous arrachent les tripes, quand on croise leur regard, de celles qui témoignent de toute l'inhumanité de l'homme, de celles qui n'ont plus rien, « plus de poils, plus de chair, plus de dignité. Ils lui ont tout enlevé ».
De celles qui meurent anonymes.
De celles qui meurent en silence.
De celles qui ont tant à donner et qui ne sont que souffrance et mort.
Un long couloir sans fin de désespérance et de douleur.
De celles qui témoignent que l'homme est à jamais maudit.
De celles qui, seules à jamais, attendent sans fin cette délivrance si douce.
Oui, je suis celle-là et je témoigne.
Je suis Ocean, Marion, Jimena ou Samantha.
Je suis celle qui n'a pas de nom.
Celle qui survit.
On ne sait pas comment.
Celle qui attend.
On ne sait pas trop quoi.
Celle dont la souffrance est le quotidien, et on ne sait pas pourquoi.
Je suis un océan de douleur, et je témoigne.
De cette triste vie qu'on m'a offerte, sale cadeau empoisonné ; qui coule, fleuve de douleurs, de coups ; sans fin. Moi, je témoigne, pour vous raconter.
Mais comment dire l'indicible.
Je suis une galga. Race maudite ?
Non, fille et petite-fille et arrière-petite-fille de galguero.
Fille maudite.
Mon histoire n’est pas un conte de fées et elle n’endormira pas vos enfants.
Mon histoire n’aura pas de happy end, parce que dans la réalité, la vraie réalité, le happy end n’existe pas.
C’est pour cela que je témoigne.
Avant qu’il soit trop tard.
Même s’il est déjà trop tard.
Juste pour les suivantes.
Ou comme ça.
Juste pour vous dire.
Pour vous dire que le monde ne fait pas de cadeau.
Et surtout pas à nous. Les galgas, les galgos.
Pour vous dire que l’injustice, la barbarie et la cruauté crèvent le monde, ce monde où vous vivez.
Pour vous dire que j’ai mal. Que je n’attends rien de vous. Parce que je n’ai jamais rien attendu.
Et pourtant j’ai tant à donner. Mais qui le sait ?
Je suis une galga et je témoigne.
J’en appelle au droit à la vie.
Respirer, manger, boire, et ne plus avoir peur.
Car la peur est mon quotidien. Mon souffle.
Certains inspirent de l’oxygène. Moi, j’inhale, j’exsude la peur.
Cette peur qui m’asphyxie, qui tétanise mes muscles.
Alors ils me tuent.
Puisque je n’ai plus de muscles ; moi qui suis dressée pour courir, après l’appât, après le lièvre. Moi qui suis dressée pour reproduire, et reproduire encore ceux qui vont courir, après l’appât, après le lièvre.
Et puis mourir.
J’en appelle à vous.
J’aimerais vous peindre mon monde.
Nul besoin de couleur. Du rouge sans doute. Beaucoup de rouge. Et du noir. Du gris. Beaucoup de gris. Très noir.
J’aimerais vous dire.
Mais quand l’espoir n’est plus là les mots manquent.
Les images ? Trop crues. Elles font peur, elles font mal.
Pourtant ce ne sont que des images. Alors la vraie peur…
J’en appelle à vous. Je suis une galga et je n’attends plus rien.
Je m’appelle Sia. Ou autre. En Espagne les prénoms se terminent tous par « a ».
Ah oui, je ne vous avais pas dit… Je viens d’Espagne.
Sia la Douce. Sia la Rousse, Sia qui souffre.
Que le monde entier juge. Me juge. Je n’ai plus rien à perdre. Ils m’ont déjà tout pris.
Je suis Sia, celle qui meurt là-bas, si loin, si près. Celle qu’on n’entend pas.
Je suis cet océan de douleur, ce cri qui ne sort pas.
Je suis Sia, et vous ne m’oublierez pas.
Car quand viendra la nuit, ces heures sombres où plus rien n’a de sens, vous penserez à moi.
Car vous, c’est moi, et derrière moi se dresseront les plus sombres lueurs.
Celles qu’on n’éteint pas. Alors vous penserez à moi. Car moi, c’est vous.
Alors jugez.
Peu m’importe. Je suis déjà condamnée.
Texte écrit par Valérie, déléguée de Lévriers sans Frontières